Le professeur Alain Maertens de Noordhout, 62 ans, est, depuis 20 ans, chef du Service Neurologie du CHR de la Citadelle, spécialisé dans les troubles du mouvement, notamment la maladie de Parkinson. Expert en stimulation cérébrale profonde, le professeur Maertens dirige le laboratoire de recherche en neurophysiologie humaine pour les mouvements anormaux et céphalées, enseigne la neurologie, est président du Comité Scientifique de l’Association Parkinson, fait partie de plusieurs groupes d’experts et est rédacteur en chef adjoint d’Acta Neurologica Belgica.

 Fier père et grand-père, le professeur Maertens aime la pêche, le tennis et les promenades dans les bois autour de sa maison. Il a une règle stricte : pas de téléphone portable aux heures de repas et il croit en l’importance de se déconnecter vraiment.

 

1. Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la maladie de Parkinson ?

C’était un pur hasard, en fait.  J’ai eu l’occasion de passer un an dans le laboratoire du (neurologue britannique) C.D. Marsden, qui était en quelque sorte le « pape » de la neurologie dans les années 1980. Jétais là à l’époque où des cellules embryonnaires étaient implantées dans le cerveau de patients dans l’espoir de produire de la dopamine … ce qu’elles faisaient. Mais comme elles n’avaient pas les structures nécessaires pour les relier au reste du cerveau… elles en produisaient trop et devaient être détruites.                                      (Photo: Le professeur Maertens dans le laboratoire de C.D. Marsden)

Aujourd’hui, les équipes de recherche cherchent à utiliser des cellules souches qui peuvent à la fois produire de la dopamine et créer des structures de contrôle dans le cerveau afin de ne pas produire de dopamine en excès. Il faudra encore 10 à 15 ans avant que ce traitement ne soit disponible, mais j’ai vu les deux premiers patients implantés en Suède et testés dans le laboratoire de C.D. Marsden, ainsi que des patients souffrant de troubles du mouvement très particuliers. C’est donc à ce moment-là que j’ai été accroché.     

2. Qu’est-ce qui vous motive à aller travailler tous les jours ? Qu’est-ce qui vous fait sortir du lit?

On comprend si peu sur la maladie de Parkinson et les autres troubles du mouvement. Nous ne savons pas, par exemple, pourquoi certaines personnes souffrent de démence et d’autres sont plutôt sujettes aux chutes. Nous avons encore tant à découvrir et à faire pour améliorer la vie de ceux qui souffrent de ces maladies.

Je m’engage envers mes patients. J’essaie de suivre ceux que je vois dès le début tout au long de leur traitement. Il y a certains patients que je vois depuis déjà 30 ans.

3. Quelle est la première réaction ‘typique’ des patients lorsqu’ils reçoivent leur diagnostic ? Et que faites-vous ou que dites-vous pour les aider à assimiler la nouvelle?

Le choc. L’annonce du diagnostic est généralement dévastatrice pour les patients car cette maladie a une mauvaise réputation. Lundi dernier, j’ai donné le diagnostic à un homme de 41 ans. Ce fut un choc énorme pour lui et pour son épouse. Les gens ont l’image dans leur esprit du défunt pape Jean-Paul II qui a été dévasté par la maladie. Il faut savoir que celui-ci n’a pas pris ses médicaments comme il le fallait. Il a choisi de ne pas le faire. 

La première étape importante est de s’assurer que la personne accepte le diagnostic et la nécessité de prendre des médicaments pour le reste de sa vie. C’est le cas également pour ceux qui souffrent de diabète ou d’hypertension. Ensuite, il faut que la personne comprenne qu’elle n’est pas seule à souffrir de cette maladie et qu’il existe des associations pour l’aider.

4. Quels sont les principaux conseils que vous donnez aux patients pour les aider à gérer leur vie quotidienne avec la maladie?

Je les encourage à faire du sport. A faire de la kinésithérapie. S’ils font tout cela (comme prescrit), ils ont de bonnes chances de mener une vie agréable, non pas comme sprinter mais peut-être comme marathonien. Il est important que les patients se sentent optimistes et positifs.  

5. Quel est le rôle de la famille et des amis dans le soutien aux patients?

Il est tout aussi important d’éduquer et de soutenir la famille et les soignants. Parfois, les patients sont lents et il peut être difficile ou ennuyeux pour la famille d’attendre. Mais je dis toujours que s’il leur faut cinq minutes pour faire un bouton, qu’ils le fassent. Ils ont besoin de temps plutôt que de trop d’aide. 

Certes – c’est épuisant pour la famille. Mais il existe des groupes dans les associations de patients pour soutenir la famille, et aussi pour s’assurer que les membres de la famille se sentent connectés et savent quoi faire.  Les soignants, par exemple, doivent savoir que les médicaments doivent être administrés à un moment très précis pour être efficaces. 

J’encourage le conjoint à venir aux rendez-vous avec le patient. Je lui demande s’il a remarqué des changements. Les conjoints apportent une perspective différente. Parfois, le patient ne veut pas mentionner quelque chose – comme le fait qu’il s’endort pendant les repas, qu’il est atteint d’hypersexualité ou d’une infection urinaire par exemple. Mais si je parle au conjoint séparément du patient, celui-ci le mentionnera. Ou le conjoint expliquera que le patient a des hallucinations, qu’il fait beaucoup d’achats compulsifs en ligne ou qu’il est très physique au lit pendant son sommeil, ce qui m’indiquera que les médicaments du patient doivent être modifiés. Il est important d’être joignable pour les patients ainsi que pour leurs conjoints et soignants.

6. Que souhaiteriez-vous avoir compris en tant que jeune médecin que vous comprenez maintenant?

L’importance de la psychologie du patient.  Nous avons quelques leçons de psychologie en tant qu’étudiants en médecine mais souvent le professeur est ennuyeux… ou fou… et notre attention est ailleurs.  Mais la vraie psychologie du patient … comprendre ce qui est réellement important pour lui, reconnaître les changements et savoir comment aborder les sujets … cela vient avec l’expérience. Il est vraiment important de poser les bonnes questions au bon moment.

(Photo : Le professeur Maertens tenant un serpent qu’il a attrapé dans son jardin!)



7. Quelle option de traitement futur observez-vous avec le plus d’intérêt et d’espoir?

Certains signes précoces de la maladie apparaissent des années avant l’apparition de la maladie – comme la perte de l’odorat et le fait de bouger beaucoup dans le lit pendant le sommeil . 80 % des personnes avec ces symptômes développent la maladie de Parkinson et reçoivent un diagnostic 10 à 15 ans plus tard. Des chercheurs travaillent à mieux comprendre les mécanismes de la maladie afin d’appréhender pourquoi il s’agit d’indicateurs précoces. Puis ils développent des médicaments neuroprotecteurs de façon à ce que les patients ne perdent pas les cellules productrices de dopamine.  Nous ne voulons pas que les gens paniquent quand ils présentent ces symptômes. Mais, dès qu’il y aura un médicament neuro-protecteur potentiel, nous aurons besoin de dépister les gens ‘à risque’ et de les faire participer à des études cliniques.  Nous aurons également besoin de dépister les gens qui ont des formes génétiques de la maladie.

8. Quelle voie de recherche pour trouver un remède potentiel vous passionne le plus?

Agir sur l’accumulation d’alphasynucléine dans le cerveau a beaucoup de potentiel.  Il a été démontré que la protéine se déplie sous des formes particulières qui ne peuvent pas être évacuées par les cellules cérébrales comme elles le devraient, ce qui entraîne la mort des cellules productrices de dopamine. Une fois que nous connaissons le processus par lequel la protéine se déplie, nous pourrons faire taire les gènes anormaux afin que la protéine ne puisse pas se déplier et s’agréger.

9. Selon vous, quelles sont les chances que les scientifiques découvrent un remède dans les 5, 10 ou 15 prochaines années?

Seule une petite proportion des cas est causée par la génétique, mais je suis presque sûr que dans les 5 à 10 prochaines années, nous aurons les premiers essais cliniques pour certaines formes génétiques de la maladie de Parkinson dont nous comprenons la séquence de transformation.

Dans 5 à 10 ans également, nous demanderons que les gens se fassent dépister afin de détecter les signes précoces de la maladie, et qu’ils participent à des essais cliniques pour des médicaments potentiellement neuroprotecteurs.

10. Que faut-il faire de plus pour accélérer la mise au point de traitements efficaces et, surtout, d’un remède?

Bien sûr, nous avons besoin de plus de fonds pour la recherche. C’est aussi simple que cela.  Et nous avons également besoin de plus d’argent pour les associations afin de soutenir les patients, les familles et les soignants. L’éducation est vitale.

11. Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir, le cas échéant?

Jusqu’il y a deux ans, les enfants atteints d’amyotrophie spinale étaient dévastés par la maladie dès leur premier anniversaire et décédaient. Maintenant que nous comprenons les causes de cette maladie, nous avons pu mettre au point un remède. La mutation génétique peut être détectée à la naissance et ces enfants sont traités pour qu’ils ne développent pas la maladie. C’est incroyable.  C’est vraiment un miracle.  La même chose pourrait se produire pour la maladie de Parkinson. Une fois que nous aurons mieux compris le mécanisme, nous aurons une meilleure chance d’agir.

12. Quelles leçons de vie les patients Parkinson et leurs proches vous ont-ils montrées/appris ? Un patient en particulier vous a-t-il inspiré et pourquoi?

Je dirais que j’ai appris à ne pas toujours être pressé.  À prendre le temps. Bien sûr, nous n’avons pas toujours beaucoup de temps, mais nous devons essayer de trouver des moyens d’être disponibles. Pour maintenir le dialogue.  Le deuxième conseil de vie que j’ai appris est l’humilité.  Certains de mes patients sont devenus… enfin… presque des amis. Vous vous engagez envers eux. Le plus dur est quand un patient ne veut plus vivre.  En Belgique, l’euthanasie est autorisée et la maladie de Parkinson est l’une des conditions pour lesquelles elle est acceptée. Quand un patient me demande de le faire, c’est très difficile. Après des années de traitement, ils me demandent de mettre fin à leur vie. Nous sommes éduqués pour guérir les gens, pas pour les tuer. Et pourtant, si le patient veut que vous le fassiez et qu’une confiance s’est établie au fil des ans, c’est sa dernière demande.  C’est une grande leçon d’humilité – très difficile.

13. Quelle devise essayez-vous de vivre?

C’est quelque chose d’important pour moi et j’y crois vraiment, mais je dois encore m’améliorer :

« Écoutez d’abord, parlez ensuite. » Et aussi … « Quoi que vous choisissiez de faire, faites-le au mieux de vos capacités. »

 

(Photo: Le professeur Maertens de Noordhout apprend à sa petite-fille à pêcher.)