Ann Bada-Crema s’est entretenue en toute franchise avec Anne-Marie Demoucelle au sujet du diagnostic de la maladie de Parkinson précoce posé à son mari Robert à l’âge de 45 ans, des défis liés à sa prise en charge, de son entrée en soins résidentiels à temps plein et de ce qu’elle a appris au cours de cette expérience. Elle nous rappelle que l’humour, la prise en charge de soi, la confiance en sa propre capacité à faire face et la compassion peuvent nous aider à traverser les moments les plus difficiles.

L’expérience de Robert reflète une forme particulièrement avancée et rapide de la maladie de Parkinson. Chaque parcours avec la maladie de Parkinson est unique. Beaucoup de personnes vivent bien pendant de nombreuses années. Ce témoignage personnel se concentre sur les stades avancés de cette maladie neurodégénérative dans l’espoir d’aider les familles à se préparer, à faire face et à trouver la force nécessaire.

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***Un changement soudain : du diagnostic au déclin
« Robert a été diagnostiqué à 45 ans et tout s’est passé très vite. Son état s’est détérioré soudainement et nous étions désemparés : « Oh mon Dieu, que faire maintenant ? » Je connaissais son corps mieux que le mien et je n’arrêtais pas de dire aux médecins : « Il y a autre chose. »

Je me souviens être montée dans la voiture avec lui et il s’est mis à pleurer. Il faut comprendre qu’avant que la maladie ne progresse, Robert était fort, actif, brillant, plein de vie. J’ai posé ma main sur la sienne et je lui ai dit : « Chéri, je suis là. Nous allons trouver une solution ensemble. » Et c’est ce que nous avons fait, à travers toutes les épreuves. Quand il est décédé, c’était paisible. Nous étions tous là, jusqu’à son dernier souffle. »

***Une vie remarquable, un homme remarquable
« Lorsque Robert a fait don de son cerveau à la science, on m’a dit que la maladie de Parkinson s’était propagée partout, que c’était le cas le plus avancé qu’ils aient jamais vu. Je ne sais pas comment il a pu endurer cela pendant si longtemps. Je suis en admiration devant lui. Il a été mon plus grand professeur. « 

***Prendre soin pendant la crise
« Il avait des crampes musculaires partout, après avoir été alité pendant deux ans, la stimulation cérébrale profonde (SCP) l’a beaucoup aidé. Et nous avons gardé une atmosphère légère. Je plaisantais en disant : « Je vais te démarrer maintenant » et il souriait même dans sa raideur. L’humour était un remède pour nous.

Nous nous concentrions sur la joie des petits moments. Même lorsque la maladie était dure, nous continuions à rire. « 

***Le poids invisible des soins
« Je suis aidante depuis l’âge de six ans : j’ai aidé ma mère après son opération, puis après son grave accident vasculaire cérébral vers la fin de sa vie. Plus tard, pendant la maladie de Robert, j’ai également aidé à prendre soin de ma sœur atteinte d’un cancer du pancréas.

Mais rien ne m’avait préparée à ce que j’ai vu avec Robert, qui a enduré des souffrances incessantes pendant plus de huit ans, au cours de la progression intense de la maladie. Il pesait 113 kg et je devais parfois le soulever seule du sol. Je ne sais pas comment j’ai fait. J’avais l’impression que quelque chose de plus grand m’aidait. Aussi douloureux que cela ait été, il y avait aussi quelque chose de magique dans tout cela. « 

***Affronter la solitude et trouver la loyauté
« Nous avons perdu beaucoup d’amis. Je pouvais compter sur les doigts d’une main ceux qui sont restés. Les gens disparaissent, c’est tout simplement trop pour eux. Je ne suis pas en colère, mais c’est une deuxième perte qui s’ajoute à tout le reste.

Mais nous avons eu le soutien de nos merveilleux garçons et de la famille de Robert. Et certaines personnes sont restées, ce qui a compté énormément pour nous. Nous avons même réussi à emmener Robert au mariage de notre fils au Québec, après dix heures de route à quatre avec un aide-soignant. C’est un beau souvenir. « 

Le tournant : quand les soins à domicile ne suffisent plus
« Il y a huit ans, un médecin urgentiste nous avait suggéré de placer Robert dans un établissement spécialisé. J’avais les moyens de le garder à la maison plus longtemps, mais j’ai fini par être hospitalisée pour une maladie grave due au stress lié à mon rôle d’aidante. Cela a été un véritable électrochoc.

Mes fils m’ont aidée à comprendre que prendre soin de moi n’était pas facultatif, mais essentiel. Lorsque Robert et moi avons finalement décidé ensemble qu’il allait être placé en établissement, cela m’a permis de redevenir sa femme et non plus seulement son aidante. « 

***S’adapter à l’établissement de soins
« Robert a dit : « Je pense que je dois aller dans une maison de retraite. » C’était un soulagement physique, mais c’était aussi un nouveau départ incertain, une nouvelle étape dans son parcours avec la maladie de Parkinson. Nous avons fait en sorte que cet endroit ressemble à une suite d’hôtel : son lit, son fauteuil mécanique, sa salle de bain adaptée aux personnes handicapées, tout était à portée de main. L’endroit est devenu accueillant.

Il ne montrait aucun signe de dépression. En fait, il était le plus jeune et est devenu comme le fils de tout le monde. Il participait à des activités, avait des relations sociales avec d’autres personnes que moi et attendait toujours avec impatience les événements spéciaux organisés chaque semaine par la maison de retraite. Son nouveau foyer lui a permis d’avoir une vie sociale que je ne pouvais pas lui offrir seule à la maison.

J’apportais des collations et des surprises. Il ne savait jamais à quoi s’attendre. Et comme je dormais à nouveau, j’avais l’énergie nécessaire pour être vraiment avec lui. Il a eu le meilleur de moi-même. 

La clé pour aider un proche à passer de la vie à domicile, à la vie en établissement d’aide à la vie autonome, est de faire des recherches approfondies sur les établissements disponibles. Comme la maladie de Parkinson affecte chaque personne différemment, il est important que les aidants évaluent les besoins et les intérêts particuliers de leur proche. Cette évaluation sert de base pour trouver un établissement qui peut offrir des soins et des activités similaires à ceux qui étaient fournis à domicile, afin de faciliter au maximum la transition.

Dans le cas de Robert, j’ai mené des recherches approfondies sur les différentes maisons disponibles. J’ai interrogé le personnel, examiné l’état des parties communes et des espaces de vie privés et me suis renseignée sur l’éventail d’activités proposées aux résidents. Mon objectif était de trouver une maison où mon mari pourrait se sentir comme s’il était en vacances permanentes pour le reste de sa vie.

***Vivre avec le chagrin, encore et encore 
« J’ai pleuré Robert à plusieurs reprises, chaque fois qu’il déclinait, chaque fois que quelque chose changeait. On accepte, puis on pleure, puis on accepte à nouveau. C’est épuisant. On pleure autant qu’on aime. Et si on a aimé profondément, on pleure profondément.

Le deuil est une émotion étrange. On grandit en apprenant ce qu’est l’amour. Personne ne nous apprend comment gérer l’émotion du deuil. « 

***Devenir une défenseure
« Je suis restée impliquée même après son admission dans un établissement de soins. La plupart des membres du personnel étaient adorables, mais j’ai parfois dû m’exprimer pour défendre non seulement Robert, mais aussi les autres résidents. Une fois, il n’avait pas été pris en charge correctement et il m’a dit discrètement qu’il était mal à l’aise. J’ai travaillé avec le personnel pour apporter des changements et j’ai expliqué ce que signifiait la dignité pour Robert. J’ai dit à un aide-soignant :  » Vous êtes peut-être la première personne qu’il voit chaque jour. C’est important.  » Une fois qu’ils ont compris cela, ils se sont montrés encore plus attentionnés. « 

J’ai passé beaucoup de temps à former les soignants et les infirmières de Robert, car il faut une approche très spécialisée pour aider une personne atteinte de la maladie de Parkinson à maintenir sa qualité de vie. Il fallait notamment s’assurer que ses médicaments lui étaient toujours administrés à l’heure, l’aider à surmonter ses épisodes de blocage ou de « stationnement » et bien d’autres aspects des soins quotidiens.

***Conseils aux autres aidants
« Prenez soin de vous, sans culpabilité. Nous donnons sans compter, mais si vous n’êtes pas fort, vous ne pouvez pas les aider.

Et aimez… aimez vraiment. C’est dans ces moments-là que vous découvrez ce que signifie vraiment l’amour. J’ai tenu les vœux que j’avais faits ! Quand j’ai vu Robert au plus bas, je l’aimais autant que lorsque nous nous sommes rencontrés. C’est ce qui nous a permis de traverser cette épreuve. « 

***Ce dont les patients ont le plus besoin
« Du soutien, de la sécurité, de la compréhension. La maladie de Parkinson prend le contrôle de leur corps. Les gens ne le voient pas toujours ou ne comprennent pas toujours la maladie : ce n’est pas la personne qui agit ainsi, c’est la maladie ou les médicaments.

Vous devez savoir quand c’est « eux » et quand c’est la maladie. Ils ont besoin de compassion. Et ils ont besoin de savoir qu’ils ne sont pas un fardeau. « 

***À ceux qui vivent avec la maladie de Parkinson
« Faites de votre mieux avec ce que vous avez. Soyez reconnaissants : quelqu’un est là pour vous aider, vous protéger, vous nourrir et vous soutenir. Cela peut sembler sombre, mais il y a de la lumière.

Soyez également patients, avec vous-mêmes et avec vos aidants. C’est une relation à double sens. L’aidant sacrifie une partie de sa vie pour vous accompagner. « 

***Ce que ce parcours m’a appris
« Cela m’a rendu humble. Maintenant, j’apprécie même le mouvement d’un simple brin d’herbe. La santé est tout. Nous la tenons pour acquise, le simple fait de pouvoir bouger librement.

Vous pouvez choisir d’être amer, ou vous pouvez choisir d’être meilleur. J’ai choisi d’être meilleure. Cela m’a apporté la paix. Il y a déjà tant à porter, pourquoi ajouter la colère à ce fardeau ? Lâcher prise apporte la liberté. «